dimanche 7 avril 2024

Sérendipité. Place à l'instinct !


"...l’art de trouver ce que l’on ne cherche pas 
en cherchant ce que l’on ne trouve pas..."

De nombreuses années plus tôt, je découvris ce mot dans un ouvrage de Jung. 
Tout me plaisait, à priori, dans ce mot, la consonance pleine et ronde, agréable à l'oreille, l'équilibre des syllabes. Quand son sens me fut révélé, il lui conféra alors presque un caractère magique...

Le sens général
 
La sérendipité est la découverte totalement fortuite d'une trouvaille qu'on ne cherchait pas
Ce terme a été inventé par un philosophe anglais, Robert Walpole (1676-1745), sur la base d'un néologisme (serendipity).

Il y a plusieurs sens induits qui constituent finalement, autant de degrés à considérer de la sérendipité. 
La proposition de l'ethnographie me plait tout particulièrement et c'est donc celle-ci que j'ai retenu :
  1. On découvre par hasard ce que l'on ne cherchait pas. Vraie sérendipité.
  2. On découvre autre chose que ce que l'on cherchait grâce à un concours de circonstances favorables. Vraie sérendipité.
  3. On découvre par hasard ce que l'on cherchait. Pseudo-sérendipité.
  4. On découvre grâce à un concours de circonstances favorables ce que l'on cherchait. Pseudo-sérendipité.
 
Bien entendu, les exemples sont innombrables dans l'histoire de l'humanité, de la pénicilline à la tarte Tatin en passant par l'ADN, le lecteur pourra s'amuser à les recenser à sa guise...

Et l'homme face à la sérendipité ?
 
Qui dit sérendipité, dit réception et attention, cette remarque n'est pas anodine pour la suite de notre billet.

Avec Platon et les Sophistes, le constat était déjà établi que l'on ne pouvait pas chercher ce que l'on ne connaissait pas parce que l'on ne sait pas ce que l'on doit chercher. Évident...en apparence.
La sérendipité privilégie pourtant les expériences, les ressentis, la position de guetteur, de fureteur, de vigie.

Ceux qui savent toujours où ils vont ne risquent jamais de se trouver ailleurs.

« Il fallait être Newton pour apercevoir que la Lune tombe, quand tout le monde voit qu’elle ne tombe pas » P. Valéry

La sérendipité, ce cadeau du "hasard heureux", demande une ouverture et des dispositions particulières pour émerger. 
Toucher la "perméabilité" aux choses, garder en alerte un regard de l'ensemble distinct du particulier, accepter l'inattendu et lui laisser une chance d'entrer dans nos vies, voici les critères principaux qui permettent la sérendipité.


Utile la sérendipité ?
 
Au risque d'être réducteur, il semble que la sérendipité exige une certaine qualité d'être
On peut aussi, raisonnablement, rapprocher cette qualité de celle définie par la fameuse injonction jungienne, décrivant l'attitude adaptée de l'homme face à son inconscient : "Laisser advenir".

Car oui, finalement, dans le chemin laborieux de l'individuation, la croisée de cette force structurante en nous et de notre conscience conduit, très souvent, à d'étranges rencontres, révélations, surprises et à ce que le produit de ces rencontres soit généralement tellement loin de ce que nous souhaitions initialement...c'est aussi cela la magie de la transformation qui opère, l'alchimie subtile de la vie.

Pour conclure sur le sujet, j'aimerais revenir sur cette analogie hasardeuse, voire trompeuse, que l'on fait communément entre sérendipité et synchronicité. 
Sur le "plan de l'objet" ou celui du processus engagé, on peut évoquer des similitudes. Mais rappelons, simplement, que la synchronicité tient avant tout à la notion de "révélation personnelle"'...la tarte Tatin n'a qu'à bien se tenir.
 

Plus loin
 
Deux ouvrages majeurs, assez conséquents, délicats à la digestion.


mardi 2 avril 2024

Jung, vu par lui...

 Petit extrait percutant de la première édition de Carl Gustav Jung : Guérisseur de l'âme de Claire Dunne (excellent ouvrage à lire), page 22.

C'est vrai, une force de la nature s'exprime en moi - je ne suis qu'un conduit... J'imagine que, dans bien des cas, je pourrais vous paraître sinistre. Si, par exemple, la vie vous a mené à adopter une attitude artificielle, vous n'allez pas pouvoir me supporter car je suis un être naturel. Ma présence même cristallise; je suis un ferment. Je suis perçu comme un danger par l'inconscient des gens qui vivent d'une manière artificielle. Tout en moi les irrite, ma façon de parler, ma façon de rire...Ils sentent la nature, dans son authentique expression, et je deviens un ennemi « intérieur » à abattre. Combien d’ennemis invisibles dois-je avoir en ce monde ? C’est le prix de la véritable liberté.

samedi 30 mars 2024

La solitude partagée...

Dans ce que j’appellerais ma quête de sens, de vérité intérieure, la recherche de mon mythe personnel selon Jung, j'ai eu la chance de croiser des personnes animées par le même "feu". 
Certains ont cheminé avec moi puis disparu, d'autres sont devenus des amis. Tous ont contribué à qui je suis aujourd'hui, et je pense pouvoir affirmer que tous vivent dans une certaine solitude assumée...solitude inhérente à cette recherche du rapport singulier à la Vie. 
J'ai fini par définir le lien, aussi fort qu'intime, qui unit nos solitudes, une affinité élective.

Cette quête défait, très naturellement, tout ce qui n'obéit pas au domaine de l'authenticité. 
Consensus, compromis, conventions de toutes sortes s'effondrent...
Il ne s'agit pas d'anarchie mais, bien au contraire, d'une "mise en ordre".

Lorsque l'on refuse de croire les apparences, d'adhérer aux pensées dominantes, de se soumettre à la doxa, deux "mouvements contradictoires" s'imposent alors à nous : 

1- La sensation d'une plénitude, d'une satisfaction intérieure, d'une réponse (provisoire ?) acquise. Un autre regard sur le monde et les autres s'édifie.
2- Simultanément, surgissent une hostilité voire un rejet de certaines personnes, parfois même proches ou "amis". Processus notoire, l'inconnu et l'incompréhension réveillent l'instinct de division et de séparation.


Ce chemin, cet engagement de vie, ne doit pourtant pas conduire à une indifférence face au "groupe", écueil fréquent, menant soit à un isolement mortifère (seul contre le monde) soit à une inflation égotique (seul digne de ce monde). 

S'il convient de se distancier de la "meute" et de son influence, ce n'est pas pour la condamner. 
Il s'agit d'établir la compréhension véritable de l'autre et de rétablir une communication authentique, expurgée de nos projections. Ce nouveau rapport à l'autre est le fruit de notre propre dialogue intérieur.

Formulé par Jung, démontré par la clinique et éprouvé par ceux qui œuvrent pour leur "accomplissement intérieur", le travail sur la psyché dépasse, finalement, le cadre du patrimoine personnel. 
Se révèle, par miroitements toujours inattendus, une part de l'humanité, un fragment "d'universel éternel", scintillements et reflets de ces fameux archétypes...

Inscrite dans "la hiérarchie naturelle des choses", cette profondeur ne sera touchée qu'une fois atteinte puis dépassée la crainte de l'affrontement de nos ténèbres personnels.
Cette lutte personnelle n'est pourtant jamais aboutie, les premières noirceurs faisant toujours place à d'autres. 
Jung évoque un processus d'individuation, certainement pas une étape ou un stade, mais bien un phénomène dynamique discontinu.
Notre conscience ne se crée pas elle-même… Elle est comme un enfant qui naît quotidiennement du sein maternel de l'inconscient.
Symbolique de l'esprit, p.465
Le courtois comptable réalise soudainement que des pulsions inavouables l'habitent, la gentille vétérinaire découvre au fond d'elle des envies sadiques et morbides qui la bousculent, l'érudit polyglotte est confronté à des besoins d'archaïsme et de sauvagerie.
Pourquoi parfois, en moi, surgit ce qui me bouscule ?


Le jugement est une capacité innée de l'humain. Jung l'a même érigé comme un des quatre constituants de la boussole psychique.
Mais le jugement ne doit jamais devenir condamnation qui est là, un choix (écueil ?) personnel.
Quand je juge autrui, je réalise, si la première "ouverture de conscience" est accomplie, que je me juge moi-même. J'abrite les tendances coupables que je suis en train de juger. Qu'il est douloureux mais libérateur d'accepter nos imperfections, nos failles....cette acceptation, si elle est sincère et assumée est une bénédiction !
Le contraire,  s'idéaliser soi-même, idéaliser son clan ou sa nation, a pour conséquence de rejeter le mal sur l'extérieur. 
"L'ennemi est tellement bête, qu'il croit que c'est nous, l'ennemi" Desproges.
Accepter l'autre dans sa différence, c'est se libérer des projections et accéder à la plus belle faculté de l'âme, l'altérité (voir ici).

Graduellement, un autre monde s'offre à nous...non, plus précisément, nous accueillons une autre vision du monde. 

Nous accepter dans notre "caractère d'imperfection" (au regard de la totalité de notre être qui nous attend) aide alors à accepter les obstacles et échecs dans notre vie. 
Ils deviennent de véritables opportunités pour la transformation intérieure; ils nous poussent à l'humilité et au lâcher-prise.

La vraie souffrance naît de notre résistance au changement, pas de nos échecs

« Dans l’obstacle se trouve le chemin » 





Maj du billet du 29/03/2024

mardi 20 février 2024

L'individuation...le chemin de croix [1]

J'entends ou je lis parfois des choses sur le processus d'individuation qui me gênent. 
Il est question d'extase, d'accomplissement naturel, de plénitude acquise, de joie dans la réalisation, etc. 
Certes, mais n'est ce pas un peu oublier que ce chemin est avant tout, par sa nature propre, parsemé des épines les plus féroces, des épreuves les plus redoutables, d'inévitables souffrances et doutes, et de véritables sacrifices (au sens étymologique de sacrificare, "fait de rendre sacré").
"la libido enlevée à la mère, devient menaçante comme un serpent, symbole de l'angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on en meurt presque soi-même."
Jung, Métamorphose de l'âme... p 515
"Le monde apparaît quand l'homme le découvre. Or il ne le découvre qu'au moment où il sacrifie son enveloppement dans la mère originelle, autrement dit l'état inconscient du commencement".  
Jung, ibid, p677
Selon les théories actuelles, le bébé (voire même le fœtus) reçoit ce qui "est" (réalité interne et externe), qui va alors "déranger" un équilibre initial, comme un doigt va marquer la cire, marquant définitivement cette "matrice indifférenciée"...ce creux dans la cire peut être associé à la conscience, la cire, matière figeant ce creux , serait le Moi (notons que pour Jung, le Moi est un complexe, certes particulier, mais complexe psychique).
« En dépit du caractère relativement inconnu et inconscient de ses fondements, le moi est un facteur de conscience privilégié. Il est même, sur le plan empirique, une acquisition de l’existence individuelle. Il résulte, semble t-il, du choc du facteur somatique et de l’environnement et, une fois établi comme sujet, il se développe à partir d’autres chocs avec l’environnement aussi bien qu’avec le monde intérieur. »
Jung, Aïon, p 17
« Il forme en quelque sorte le centre du champ de conscience et, en tant que celui-ci embrasse la personnalité empirique, le Moi est le sujet de tous les actes conscients personnels. La relation d’un contenu psychique avec le Moi constitue le critère de la conscience, car un contenu ne peut être conscient s’il n’est pas représenté au sujet. » 
Jung, ibid, p18
La conscience est une mémoire active qui, selon  des interactions passées, va produire de la réaction, de l'évaluation, du sens au mieux... 
En contrepartie, la conscience va "alimenter" le Moi pour l'enrichir. Comme le précise Jung, le Moi est le centre de la conscience, il en est même la matrice originelle (et une instance autonome mais là n'est pas le sujet du billet).
Cette relation complexe doit poursuivre son processus et on comprend aisément que la nature même du Moi est de maintenir ses acquis en place et sa relation privilégiée avec son "ouvrier", la conscience. 



Selon cette dynamique relationnelle et la nature du Moi, on comprend que le changement est une source de stress car le Moi est le plus radical conservateur qui soit...il s'accroche à ses acquis (telle personne doit se comporter de telle manière, telle attitude doit être adoptée dans telle situation, etc.). 
Face à tout potentiel de modification, de transformation, aux éléments extérieurs de mutation, le Moi développe instinctivement le rejet, la "xénophobie", repoussant systématiquement ce qui ne répond pas au "préétabli" (les creux initiaux dans la cire). 
A maturité psychique, un constat dramatique s'impose : ce qui nous a permis de survivre nous empêche maintenant de vivre !


Dans le processus d'individuation, le retrait des projections (voir ici ) vide le Moi de sa substance, on est plus proche de la crucifixion que de l'extase. Le pôle contraire, jusqu'alors refoulé et inconnu, doit être intégré et cela ne peut se comprendre qu'après coup...les périodes de trouble, de doute et d'angoisse sont incontournables. 
Un sacrifice s'impose : celui de la position unilatérale initiale confondue avec l'unité de l'être.

La fameuse mise en tension des opposés (notion complexe, retenons  , pour le moment, que le couple d'opposés central est conscience / inconscient) ne conduit pas à un idyllique équilibre du "juste milieu" mais presque toujours à un "abaissement". Lorsque survient le fameux troisième terme (le produit de la tension des opposés, ni fusion, ni confusion pour autant), admis, le plus souvent, de "force" par le Moi, les idéaux, qui sont toujours des valeurs «hautes», s'effondrent et perdent tout leur prestige. 
Qui peut pleinement réaliser ce que signifie l'effondrement du monde de ses idéaux et de la souffrance qui l'accompagne ?

Pour reprendre une jolie métaphore, dont je ne me souviens malheureusement pas de la source, "il semble que, sur cette voie de l'individuation, plus que partout ailleurs, noblesse oblige. Tout se passe comme si, sur cette voie, les dieux psychologiques, une fois alertés, devenaient jaloux."

Ce billet n'est pas teinté de pessimisme mais se veut réaliste.  
Pour une note positive, j'invite le lecteur à revenir à la fin de ce billet.

On pourra gloser pendant des heures, il est dans la nature de l'humain de se figer pour se construire (édification de l'ego) avec le devoir de tout démolir dans la foulée (individuation, changement de centre)...et cela coûte souvent ce qu'il y a de plus cher !

mardi 13 février 2024

A mon ami Michel...


Ce billet est atypique puisqu'il ne traite pas de psychologie analytique...bien que nous restions dans le domaine de l'esprit humain et de ses défaillances inhérentes.

En 2011, je souhaitais donner un un coup de pouce à un livre, traitant de la dépendance et du processus d'addiction, principalement alcoolique. Aujourd'hui, j'aimerais honorer sa mémoire, son travail, son engagement...
Une approche unique car hors des sentiers battus, des conventions habituelles et des dogmes médicaux ancrés autour de la maladie à l'époque ; l'auteur Michel Facon (1941-2011) est à l'origine du modèle de PNL (Programmation Neuro Linguistique) "alcoolisme" et a contribué à l'élaboration du programme du centre de cure Alpha à Royan (référence nationale, que certains connaissent peut être) où il a travaillé et accompagné des centaines de malades vers l'abstinence.

Le corps médical accepte très mal la remise en cause quand elle ne vient pas d'un de ses pairs et les éditeurs très frileux sur certains sujets, le frère de Michel n'a pas eu d'autres moyens que de passer par une auto édition (lulu.com pour le citer)...pour tenir une promesse après sa mort.

Une amie très proche a été littéralement sauvée en passant à Alpha, et elle est allée chercher Michel jusqu'au Pérou où, solitaire dans l'âme, il avait trouvé refuge.
J'ai ainsi eu la chance de  le rencontrer, en 2009, et nous avons vécu une profonde mais trop courte histoire d'amitié qui tenait plus de "l'affinité spirituelle" à défaut de mot, que d'autre chose. J'ai découvert le vrai sens du mot humanisme avec lui.

Michel nous a quitté il y a bientôt 13 ans, il a marqué ma vie, en quelques rencontres, à tout jamais...
Je ne touche pas un centime d'euro sur le livre et la seule volonté est de faire découvrir cette approche atypique et basée exclusivement sur de l'empirisme clinique...un homme au service d'autres hommes, cela ne peut qu'évoquer de belles images aux lecteurs de ce blog.

Vous avez un aperçu et un témoignage introductif en page 8 de ce lien.

dimanche 11 février 2024

Le rêve par Michel Jouvet

Au gré d'une lecture, je découvre la proposition de Michel Jouvet sur la fonction des rêves et je suis immédiatement frappé par la similitude avec les théories jungiennes. Depuis, je me suis intéressé au personnage fascinant et passionné, reconnu par ses pairs comme l'un des plus grands neurobiologistes, spécialiste du sommeil et surtout "découvreur" officiel du sommeil paradoxal. J'invite le lecteur à aller fouiller dans ses ouvrages éclairants et accessibles pour approfondir les lignes au dessous (sa bibliographie).


Tout d'abord, gardons à l'esprit que nous sommes ici en territoire biologique donc ancré au soma et même si les théories de Jouvet flirtent souvent avec le psychique, les approches conservent une limite rationnelle compréhensible mais, selon moi, lacunaire.

Constats préliminaires :

- le sommeil est découpé en cycle d'environ 90 minutes et 20 minutes de ce temps est consacré au sommeil paradoxal. Ces cycles sont "universels", commun aux hommes de toutes origines ethniques et sociales,
- le sommeil paradoxal est nommé ainsi car l'activité cérébrale est la plus proche de celle de l'éveil, d'où le paradoxe,
- ce sommeil paradoxal s'accompagne de plus d'une accélération cardiaque et de mouvements oculaires rapides. Ces "signes" semblent corrélés avec l'intensité onirique.
Il apparaît que le rêve est donc "programmé" dans la nature biologique de l'homme. Reste à définir alors sa nature et sa fonction....


Nature du rêve

Jouvet postule le fait que le rêve est le troisième état du cerveau...ni en sommeil, ni en éveil, il répond à un autre mode de fonctionnement (anecdote intéressante, cette intuition lui est venue suite à une lecture d'un passage des Upanishad). 
C'est à la fois simple et lourd d'implication. L'état de veille permet la vie sociale, l'état de sommeil permet la récupération physique et "l'intégration" intellectuelle...l'état de rêve devrait donc constituer une phase aussi fondamentale de la vie
Sur ce point, Jouvet affirme que l'homme peut vivre sans rêver, en étant privé de sommeil paradoxal...ce qui contredit quelque peu la fonction qu'il propose du rêve (nous allons l'aborder) et que je critique en établissant l'hypothèse que si le sommeil paradoxal semble nous indiquer l'état de rêve, rien ne nous dit que cet état peut se produire hors toute "lecture physique possible" (hypothèse en voie de confirmation par les dernières recherches) d'après ce que j'ai lu.

Fonction du rêve

Jouvet fait une proposition audacieux, qu'il argumente avec forts appuis cliniques et scientifiques qui me dépassent et dont je vais épargner le lecteur. 
Un indice quand même : ce sommeil paradoxal n'apparaît que chez les animaux dont le développement neuronal est limité (le capital de neurones est rapidement atteint dès le jeune âge). Les rêves seraient donc là pour compenser ce défaut de neurogenèse, afin d'harmoniser constamment la vie extérieure et l'attente, génétiquement programmé, de la vie intérieure...chaque individu répondrait donc à un développement qui lui est spécifique et inscrit dans son code génétique, le rêve lui permettant constamment d'ajuster les choses. Le rêve jouerait donc un rôle-clé dans le maintien de notre individualité psychologique.


Jung décrit le rêve comme porteur d'un dynamisme de changement intérieur, d'un processus de transformation de la personnalité présent dans l'inconscient humain. Quelle étrange similitude !
On pourrait aussi mentionner l'existence de l'inconscient collectif, la présence, dans le psychisme humain, de structures innées, les organisateurs inconscients, pouvant sur le plan psychique se comparer au code génétique sur le plan physique, constituent des facteurs d'auto-guérison, des forces de transformation présentes dans l'inconscient, visant à nous faire advenir à nous-mêmes.


J'ai le sentiment que, dans deux domaines spécifiques, la convergence de géniales intuitions est flagrante.

Pour finir, une interview de Jouvet, où tout bon amateur de psychanalyse tiquera à quelque reprise mais qu'importe, restons ouverts....

samedi 27 janvier 2024

Nietzsche - La volonté de puissance


Comme c'est le cas pour nombre de philosophes, la pensée de  Nietzsche est excessivement galvaudée de nos jours par manque d'étude et lecture, ne subsistent en général de que quelques lieux communs, sans fondement réel, son soi-disant athéisme (Dieu est mort !), sa notion si mal comprise de surhomme (Zarathoustra), etc
Eludons de fait, sa position politique surement désastreuse, restons dans le champ de "l'esprit"....

Ce n'est évidemment pas par hasard que j'ai choisi d'étudier cette œuvre, elle a beaucoup inspiré Jung qui, vision toute personnelle, semblait respecter sa profondeur tout en étant fasciné par l'application (implication, investissement) absolue de l'homme qui le mènera à la folie...il consacrera même un séminaire entier au Zarathoustra.

Clef de voûte de la pensée nietzschienne,
 la volonté de puissance

Le premier constat fondamental de Nietzsche : on ne peut évaluer la vie qu'en s'en extrayant (il faut être extérieur à un objet pour pouvoir l'évaluer), ce qui est impossible pour l'homme. De là, aucune transcendance n'a sa place car le monde est "créé" par l'homme.
Sur la vie et sa valeur ne peuvent exister que deux positions antagonistes, négation ou affirmation. Selon Nietzsche, la vie est une dynamique d'accroissement de l'être et sa négation est appelée survie (ou blocage de la dynamique d'accroissement).
Détail intéressant, car l'on peut faire le jonction avec la pensée de Jung, l'affirmation de la vie serait de l'ordre instinctuel et non réflexif, plutôt du domaine inconscient que de celui de l'intellect.

De là, celui qui accède à l'affirmation de la vie, dispose d'une faculté de croissance de soi en soi. Au contraire, celui qui survit est dans le maintien d'un niveau, se retrouve avec un "manque d'être" (=d'accroissement) qu'il cherchera toujours à combler...le don (celui qui possède de soi) et la demande (celui qui comble) positionne le fort et le faible.  
Contrairement à l'idée populaire, Nietzsche n'établit pas dans la domination de l'autre, l'attribut de force, mais dans la capacité à se transformer, à abandonner l'avant.


La différenciation permet l'établissement de valeur, l'accroissement de l'être (je me diffère de ce que j'étais,  de ce que je suis pour aller vers autre chose)...son opposé, qui finalement conduit à une uniformisation, c'est ce qu'il appellera le nihilisme.

Un deuxième constat fondamental arrive alors : les conditions favorables et défavorables à la vie sont toutes, de fait, issues de la vie même (il ne peut en être autrement puisqu'il rejette le transcendant). Ces deux oppositions apparentes sont des manifestations d'une union préalable qui est la vie...ainsi, la force d'union qui contient cette dualité est la volonté de puissance.
Dans le don, je suis animé par la volonté de dépenser de la puissance et dans la demande, celui d'en obtenir. Bien entendu, nous sommes là au cœur de l'être et le don et la demande ne sont pas transposables (quoi que) à ce que l'on vit au quotidien.

Le lecteur devrait pouvoir (s'il a eu le courage de venir jusqu'à cette ligne) percevoir les rapprochements possibles avec certains pans de la pensée de Jung...
A suivre donc.

Cheminer dans le laboratoire d'Ariaga :

jeudi 25 janvier 2024

Pélerin de Compostelle comme allégorie de l'individuation


Invitation au voyage

Le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle remonte au X° siècle. La grande époque s'étend sur les XI° et XII° siècles. Durant un millénaire, les chemins de Saint Jacques de Compostelle ont été des grands lieux de passage et d'échange, ils sont imprégnés de toute notre culture. Deux autres routes sacrées, dans le monde chrétien, valaient toutes sortes de bénédictions et d'indulgences à quiconque les parcourait : c'était celle de Rome qui menait au tombeau de Saint Pierre, son symbole était une croix et c'était celle de Jérusalem qui menait au Saint Sépulcre du Christ, son symbole était les palmes qui saluèrent le Christ quand il entra dans la ville.
Un pèlerinage peut être abordé de différentes manières et chacun l'aborde avec la culture qui est la sienne, et avec sa propre problématique religieuse, sportive, culturelle, psychologique ou mystique. Mais un pèlerinage, c'est d'abord une quête, une aventure intérieure et personnelle. Chaque étape du chemin, comme chaque fait de l'existence, revêt une valeur initiatique qu'il importe de découvrir. Le pèlerinage est une épreuve de détachement - d'arrachement de la quotidienneté - qu'il importe de vivre en tant que telle, de manière à trouver un nouvel équilibre de vie, mieux, un nouvel art de vivre. C'est également, en ce sens, du fait de tout ce que l'on abandonne, un rite de purification. Et ce dont on se purifie, c'est essentiellement de la banalité qui étouffe la conscience sous les routines. L'illumination et la révélation sont la récompense promise au terme du voyage. Le pèlerin revenant de Compostelle est souvent représenté avec un livre ouvert, symbole de la connaissance révélée. C'est le troisième aspect du pèlerinage : la conquête d'un état nouveau.

Notre pèlerinage part du Puy en Velay, célèbre par sa Vierge noire, forme christianisée de l'ancienne déesse Isis qui parcourut toute la Terre à la recherche des débris du corps de son frère et époux Osiris. Isis est l'initiatrice, celle qui détient le secret de la vie, de la mort et de la résurrection ; la croix ansée est le symbole de sa puissance. Isis nous invite à rechercher, au cours de notre pérégrination, les vestiges d'une connaissance perdue ou voilée et à en réaliser une synthèse vivante. C'est à un éveil de conscience que nous sommes invités. La symbolique de la Vierge noire est identique : c'est la terre avant sa fécondation, celle qui doit enfanter, la mère des dieux. La Vierge noire désigne la terre primitive, la materia prima, celle que l'artiste alchimiste doit choisir pour sujet de son grand ouvrage, c'est-à-dire sa propre transmutation.
La Vierge est souvent représentée nimbée d'étoiles. Et l'étoile, c'est le sens de Compostelle : le champ de l'étoile ou encore celui qui a reçu ou qui possède l'étoile. Le chemin de Compostelle est appelé la "voie lactée" ou encore la route étoilée.
L'étoile, c'est le signe qui annonce la naissance du 'Sauveur' et montre le chemin jusqu'à lui, signe à prendre pour nous au sens figuré de signe annonciateur et prometteur d'une nouvelle naissance, d'une régénération. Le 'Sauveur' est le symbole de la conscience nouvelle, de l'Homme total. Jacques le Majeur, Saint Jacques ou Maître Jacques, est un disciple du Sauveur, il ne le quitte pas ; avec la calebasse, le bourdon bénit et la coquille, il possède les attributs nécessaires à l'enseignement caché des pèlerins du Grand Oeuvre. C'est le porteur de l'Esprit, le Pèlerin dans la Nature. Pour nous, c'est le guide intérieur et personnel qu'il importe de découvrir sur notre sentier. C'est l'intermédiaire qui peut rendre intelligible la révélation du silence. Il est ce témoin immobile qui, en chacun de nous, regarde notre nature agir. C'est l'état intérieur dans lequel on peut se situer pour regarder le mental opérer.
L'objet du pèlerinage est donc clairement annoncé : "Conscience et Régénération".

C'est la première étape alchimique. Tous les alchimistes à leur début, dit-on, doivent en passer par là. Il leur faut accomplir, avec la calebasse pour viatique, le bourdon pour guide et la mérelle pour enseigne, ce long et dangereux parcours de régénération. Au figuré du moins, car c'est un voyage symbolique et celui qui veut en profiter ne doit pas quitter son laboratoire. Il lui faut veiller sans trêve sur le vase, la matière et le feu. Il doit, jour et nuit, demeurer sur la brèche. Pour l'alchimiste, Compostelle, cité emblématique, n'est point située en terre espagnole, mais dans la terre même du sujet philosophique, c'est la préparation initiale et délicate de la matière première. Route longue et fatigante par laquelle "le potentiel devient actuel et l'occulte manifeste" ! En arrivant à Compostelle la coquille, portée au chapeau, se transforme en astre éclatant, en auréole de lumière, car le premier but de transformation de la conscience est atteint. L'Adepte sait lire le Grand Livre de la Nature.
Les attributs de Saint Jacques et du pèlerin de Compostelle, avons-nous dit, sont au nombre de 3 : la calebasse, le bâton et la coquille.

La calebasse, qui renferme le breuvage du pérégrinant, est le signe de la purification par l'eau ; pour l'alchimiste, c'est l'image des vertus dissolvantes du mercure.
Le bâton, ou bourdon, symbolise l'endurance et le dépouillement. Il soutient la marche sur ce chemin rude et pénible ; mais c'est également une arme utile sur ce chemin plein d'imprévu et de danger. C'est une arme magique capable de mettre en œuvre les forces vitales. Lorsqu'il devient sceptre enfin, c'est un symbole de souveraineté, de puissance et de commandement, c'est l'axe du monde.
La coquille Saint-Jacques ou Mérelle de Compostelle est le symbole le plus connu. Elle est portée mystiquement par tous ceux qui entreprennent le travail et cherchent à obtenir l'étoile. On rencontre fréquemment dans les églises de grandes coquilles qui contiennent l'eau bénite. Mérelle signifie mère de la lumière. Elle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore "l'eau benoîte" des Philosophes.
Pour conclure ces quelques explications, nous retiendrons que le Chemin de Saint Jacques de Compostelle est celui de la quête de l'intériorité. Il part de chacun de nous, tel que nous sommes - notre matière première - et nous conduit de dépouillement en dépouillement, de révélation en révélation, jusqu'à notre centre, source d'une vie nouvelle. Un guide intérieur nous accompagne dans ce voyage, il est symbolisé par Saint Jacques.
Se mettre à l'écoute de sa propre voix intérieure, donner vie à sa propre Présence, c'est déjà, sur la Terre, cheminer dans l'immortalité.